J’étais partie voire Ezz
Eddine, il m’avait proposé un café avec deux sucres inondé dans son monde de
couleurs ; Ezz Eddine est un vieux monsieur très sympathique malentendant il a,
toujours ce sourire béat que corroborent les sourds muets ; on dirait qu’en
restant en dehors des mots, ils restaient en dehors des maux… Les pierres
possèdent des pouvoirs : calmantes, antalgiques, euphorisantes, énergisantes,
protectrices… Elles sont lourdes et froides mais réagissent au toucher, il
m’avait appris à les reconnaitre mais pas à les dompter car il fallait les
respecter… Ezz Eddine est nahdhaoui, il l’est parce qu’il est un simple
musulman bon et simplet , ce n’est nullement une appartenance qu’il clame ou
défend, il croit avoir été né ainsi, comme on né avec un gros nez, on l’accepte
et avec le temps on s’y fait et on cherche même d’en faire un éventuel atout…
Je lui avait raconté une de mes mésaventures il y a quelque temps quand un
groupe de clochards néo salafistes m’avaient arrêté dans la rue m’ordonnant de
mettre le voile en proférant des menaces, cette histoire l’avait touché, il
l’avait gardé en mémoire ; Dimanche dernier ces mêmes lascars accompagnés de
leurs maîtres spirituels avaient escaladé le temps et menacé de mort laïques et
juifs… Je me rappelle avoir rencontré Ezz Eddine après les élections, il était
radieux , il croyais dur comme fer que c’était ce qui pouvait arriver de mieux
en Tunisie… Bien que je ne suis et ne serai jamais en accord avec Ezz Eddine et
ce sur plusieurs points, j’apprécie énormément sa bonne foie, son positivisme
naïf, son espoir simpliste, son sourire béat… Oui Ezz Eddine est mon ami
nahdhaoui ; il était calme comme un moine bouddhiste et j’ai toujours pensé que
c’était du à ses pierres, elles lui procuraient peut être une paix intérieure…
« دكتورة انقدملك الشيخ كمال » Kamel est un jeune de 32 ans, originaire et demeurant à Jbal
la7mer, brun, barbu, au regard perçant, portant fièrement une plaque
d’hyperkératose pigmentée du front ; Echeikh Kamel tout vêtu de noir, ne
portait ni قميص ni عراقية mais un pull en laine noire de coupe militaire avec un jean
noir retroussé ; il tenait à la main un sachet noir en plastique remplit de
livres et de torchons... Entouré de la grâce des couleurs, un long
monologue se lança, deux heures et demi durant ; on a eu droit à la
colonisation de l’Arabie Saoudite ( par des salafistes subventionnés par cette
dernière, comme quoi la fidélité c’est pas leur fort… ) pour l’entrée ; suivie
par la libération de la Palestine et une croisade fantasmagorique au plat
principal ; accompagné de la guerre en Syrie comme grand rouge pour finir par
la note sucrée qui sera l’apocalypse au désert prévue pour le 15 Ramadhan de
cette année ! Kamel est le professeur de tous les salafistes sur Tunis, il joue
cette pièce tous les vendredis et comme à force de forger on devient forgeron,
on peut dire qu’il excelle en la matière, il y met même sa touche personnelle :
un accent afghano-iranien qui rajoute tellement à son charme naturel… Kamel est
le second du Cheikh Iyadh, qu’il décrit comme un saint et Ezz Eddine voue une
adoration particulière à cet homme mi-Dieu : il collectionne toutes les revues,
magazines, presse qui en parlent… et rêve de le rencontrer ; il corrobore ce
sourire éclatant en parlant de lui, avec des étoiles plein les yeux… c’est
attendrissant, ça me rappelle ma période Michael Jackson au collège ; Kamel
parlait, comme tout bon salafiste se doit de le faire, sans me regarder mais il
daignait se retourner de temps en temps vers moi comme pour me faire plaisir,
comme s’il me disait : « Je sais que vous aimez qu’on vous regarde, vous
laïques et je ne vais pas te priver de ce plaisir pour le moment… » Il
m’assurait qu’il s’en foutait si je mettais ou pas le voile car ses problèmes
dépassaient ma personne, que c’était à moi de me décider à le faire et qu’il
n’avait pas à m’y obliger ; Il allait sortir, mais rebroussa chemin et s’élança
dans sa deuxième manœuvre, car têtu et décidé comme il l’est, il ne pouvait
partir ainsi et déclarer forfait ! L’utérus est nommé en arabe «الرحم » qui
est l’homonyme d’un des noms du Dieu, avança-t-il puis s’exclama : «فماذا تنتظرين ؟ ماذا ؟ » , il avait les nerfs un peu à vif, devant mon regard inerte,
mais il se retenait ; il me conta les histoires du prophète avec ses femmes et
ses filles en insistant sur la place irrévocable que détient la femme dans la
religion musulmane en louchant à chaque fois qu’il prononçait le nom du
prophète car il fallait à chaque fois qu’il nous entende dire « صلى الله عليه وسلم
» , par la suite, il me signala l’importance de la tâche que l’islam leur
incombe et m’interrogea «لماذا تجعلينني اضيع تركيزي و
وقتي وأنا أغض النظر في عوض ما إنركز في أهدافي » ; avait-il la mémoire si fragile, que la vue d’un visage de
femme non voilée lui effaçait du lobe frontal la libération de la Palestine ?
En parlant de ses disciples qui ont profané le symbole de la modernité
tunisienne en proférant des menaces de mort, il s’était exclamé avec indignation
: «و هل تخافون الموت ؟ نحن لا نخاف الموت ! », je détournai mon regard vers Ezz
Eddine dont le sourire avait soudainement disparu, Kamel sentit que sa dernière
intervention n’avait pas eu le bon impact, il rétorqua rapidement que ce
n’était qu’une faute commise par des partisans encore en début d’apprentissage
de la religion (ما عندهمش برشة فالدومين ), qu’il ne fallait pas s’attarder sur cet
incident insignifiant et me cita les cas de figure ou tuer était « halal » et
affirma d’un air solennel que tuer en dehors de ces conditions était
condamnable… Il reprit son gros sac et feignait partir pour se retourner
brusquement en disant : « جبهملي جماعة الثقافة نحكي
معاهم ! » et se mit à brayer :
Qu’ont-ils fait pour la vieille dame qui n’a rien à se mettre sous la dent,
elle et ses enfants ? Qu’ont-ils fait pour les jeunes incarcérés qui étaient
achetés par les anciens prisonniers afin de les violer ? Qu’ont-ils fait pour
les prostituées ? Il m’apprit que des unités sous son égide étaient présentes
dans chaque quartier populaire pour subvenir aux besoins des plus nécessiteux ;
que ces mêmes unités existaient dans les prisons pour protéger les jeunes
détenus et à proximité des maisons closes pour aider et montrer le droit chemin
aux filles de joie ; et bien entendu, toute personne annonçant sa rédemption
était accueillie et intégrée dans « leur société ». Il rangea ses affaires dans
son grand sac noir et repartit pour de bon cette fois en me promettant de me
ramener la prochaine fois des livres et des flayers pour me guider sur le
chemin de Dieu ; Ezz Eddine avait toujours ce sourire béat, il me regarda d’un
air perplexe et me demanda si cette rencontre m’avait fait du bien ; Ce long
monologue avait duré plus que deux heures, je suis sortie avec une migraine qu’aucune
pierre ne pouvait calmer.